Bâtir sa citadelle intérieure - Principe #4 du Philopreneur
Dans la tête d'un Philopreneur #193
Chaque lundi à 16h30, je vous propose une réflexion sous la forme d’article et des conseils pratiques pour vous aider à vous extraire de la vie par défaut et mener une vie plus intentionnelle au XXIe siècle.
J’en profite pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux abonnés. Vous pouvez consulter toutes les anciennes éditions ici.
Bonjour à tous,
Toujours en direct de Budapest.
Bienvenue dans l’édition 193 de cette newsletter qui a fêté ces 4 ans en octobre.
Je suis actuellement en mode hyperfocus sur mon objectif actuel principal qui est de finir le premier jet du livre d’ici fin novembre (ou idéalement pour le match d’ouverture de la coupe du monde de football).
Il me reste 3-4 principes à écrire.
Je prendrai ensuite le mois de décembre pour faire le tri dans mon brouillon et préparer la phase d’édition/réécriture qui aura lieu de janvier à mars ou avril.
Je ne sais pas encore où je vivrai pendant cette période.
Avez-vous des idées de destination pour finaliser le livre des Philopreneurs ? En France ou ailleurs ? (envoyez-moi vos suggestions sur Instagram).
Trêve de bavardage, aujourd’hui on attaque un nouveau principe : Batir sa citadelle intérieure.
Au programme de cette édition :
La citadelle intérieure de Marc Aurèle, l’empereur-philosophe
La technologie grignote l’âme humaine : Stéphane face à Goliath
Une vie matérialiste
Nous sommes tous des marques
Le supermarché des plaisirs instantanées
Les onglets ouverts et infinis de nos existences
Plan d’actions et de réflexions
C’est une édition assez longue (4 000 mots soit environ 18-20 minutes de lecture).
Lisez la une première fois comme vous le faites habituellement puis une seconde fois en étant posé chez vous ou à votre bureau.
C’est parti !
Bâtir sa citadelle intérieure
Dans La République, Platon décrit ce qui serait selon lui la cité idéale.
Pour l’obtenir, il faut des citoyens de bonnes factures.
Parmi ces citoyens, un leader, que celui-ci soit roi, chef de cité-état ou empereur.
Pour Platon, ce leader devra apprendre la philosophie et devenir philosophe.
Ou il devra être choisi parmi les philosophes.
Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités ou que ceux que l'on appelle aujourd'hui rois et souverains ne seront pas vraiment philosophes... il n'y aura de cesse aux maux des cités. — Platon dans La République
Cette utopie de Platon va voir le jour quelques siècles plus tard dans l’empire Romain.
Un jeune garçon féru de philosophie va devenir - malgré lui - l’empereur.
L’aspirant philosophe devenu empereur de la plus grande puissance occidentale : Marc Aurèle.
Né en 121, le futur Marc Aurèle, qui s'appelait alors Marcus Annius Verus, eut une enfance et une jeunesse paisibles et heureuses.
Après la mort de son père, survenue alors qu'il avait à peine trois ans, il avait été remarqué, protégé, favorisé par l'empereur Hadrien .
Peu avant de mourir, en 138, celui-ci, pour assurer sa succession, adopta Antonin, l'oncle par alliance du futur Marc Aurèle, en lui demandant d'adopter à son tour ce dernier.
L’empereur Hadrien, dont l’immense écrivaine Margueritte Yourcenar a consacré son grand livre, Mémoires d’Hadrien, avait donc remarqué le jeune Marc Aurele passionné de rhétorique et de philosophie.
En étudiant attentif, le futur empereur s’est rendu compte que la rhétorique était un outil qui avait tendance à maximiser la réussite.
Parfois au détriment de la vérité qui est plutôt la motivation et l’affaire des philosophes.
Nous avons donc un jeune homme qui vit ce que Pierre Hadot appelle une “conversion philosophique”.
Un changement profond de son regard sur le monde et sur lui-même.
Une manière de penser sa vie et de vivre sa pensée selon des principes philosophiques, principalement stoïcien.
Le précepteur de Marc Aurèle fut un élève d’Epictete que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises ces derniers mois.
L’empereur fut donc initié à la philosophie de “l’esclave” devenu professeur de philosophie.
Ce qui aura une forte incidence sur sa vie et sur sa manière de gouverner comme nous allons le voir.
Marc Aurèle devint empereur à 39 ans, il décida de nommer co-empereur Lucius, son frère d’adoption.
Lui qui aurait préféré être philosophe, consacrer sa vie à l’étude et la pratique philosophique, va devoir passer l’essentiel de son règne sur différents fronts de guerre.
C’est lors de ces innombrables nuits dans sa tente de guerre, qu’il écrivit son journal personnel.
Destiné à nul autre usage qu’à lui-même mais qui est parvenu jusqu’à nous 1 900 plus tard.
Ce journal est connu sous le nom de : Les pensées à moi-même.
La citadelle intérieure de Marc Aurèle
En élève spirituel d’Epictete, Marc Aurèle va donc s’atteler à l’une des tâches que recommande son maître : se remémorer quotidiennement les préceptes phares de la doctrine en les consignant dans un carnet.
C’est la raison d’être des feuillets dans lesquels écrivez l’empereur.
Prendre rendez-vous avec lui-même chaque jour pour observer ses réactions, ses comportements, ses jugements, ses pensées.
Puis les analyser à partir des grands principes stoïciens.
Imaginez donc, vous avez l’homme le plus puissant du monde, qui passe ses soirées à écrire comment se comporter avec justice, tempérance, sagesse et courage.
Ces notes lui permettaient de se rappeler son rôle, de l’accepter et de l’assumer.
De prendre la mesure de sa responsabilité en tant qu’empereur d’un empire attaqué de toute part.
De voir les obstacles sur sa route comme des occasions d’agir de manière juste et vertueuse, en accord avec sa pensée.
Pierre Hadot, spécialiste de la philosophie antique, a publié en 1992 un livre prenant pour titre une expression qu’employait Marc Aurèle pour présenter sa démarche.
La citadelle intérieure.
Elle est ce rempart que l’on bâtit afin de conserver une certaine emprise sur sa vie intérieure.
C’est une invitation à retourner en soi-même.
Se redire à soi-même les dogmes, les écrire pour soi-même, c'est faire « retraite », non pas « à la campagne, au bord de la mer, à la montagne » comme le dit Marc Aurèle (IV,3,1), mais en soi-même, où l'on trouvera des formules « qui nous renouvelleront » : « Qu'elles soient concises et essentielles », afin d'être parfaitement efficaces. - La citadelle intérieure de Pierre Hadot
La citadelle intérieure permet également de combattre la dispersion de notre attention et de simplifier son existence.
Ne plus se disperser en glanant, dans ses lectures, des extraits d'auteurs, puisqu'il n'a plus le loisir de lire, ne plus rédiger, par curiosité intellectuelle ou intérêt spéculatif, de multiples « fiches », comme nous dirions aujourd'hui, mais écrire uniquement pour s'influencer soi-même, se concentrer sur les principes de vie essentiels (II,3,3)
Rappelons que ses Pensées étaient un dialogue entre Marc Aurèle et lui-même.
Il y édictait les règles de conduites et de vie qui allait lui permettre d’être un meilleur homme, un bon empereur et, si possible, mener une vie bonne.
L’enjeu de ces méditations nocturnes était de dépasser les comportements de l’homme ordinaire.
L'homme ordinaire se contente de penser de façon quelconque, d'agir au hasard, de subir en maugréant. L'homme de bien, pour sa part, s'efforcera, autant qu'il dépend de lui, d'agir avec justice au service des autres hommes, d'accepter avec sérénité les événements qui ne dépendent pas de lui et de penser avec rectitude et vérité (VII, 54)
Ce journal personnel, qui nous dorénavant accessible, est un des grands textes de sagesse dans lequel nous pouvons puiser.
Mais à quelle fin ? C’est ce que nous allons voir maintenant.
Construire sa citadelle et devenir empereur de soi-même
Près de deux millénaires après Marc Aurèle, vous et moi n’avons pas à gouverner un empire.
Pour autant,nous allons voir que nous avons tout intérêt à bâtir notre propre citadelle intérieure et à devenir empereur de nous-même.
Nous sommes à l’ère du numérique et du digital.
Le numérique est certainement ce qui a le plus bouleversé notre économie, notre culture mais aussi notre psychologie ces 30-40 dernières années.
Notre attention, nos désirs et notre concentration sont assaillis de toutes parts par divers artefacts digitaux.
Comme le dit Cal Newport dans son livre Deep Work, nous sommes à une époque où celui qui sait maîtriser sa concentration peut prospérer.
La raison ? Rare sont nos contemporains en capacité de maintenir leur attention plus de quelques minutes.
Dans ces conditions, bâtir une citadelle intérieure devient une nécessité pour toute personne souhaitant avoir un contrôle supérieur sur sa vie.
Cela afin de (re)devenir empereur de :
ses pensées
ses choix (ou décisions)
ses réactions
son environnement (et son influence)
Les bénéfices de ce travail sur soi sont nombreux, nous pouvons citer notamment :
la capacité à faire le tri dans ses pensées,
gagner en qualité et durée de concentration,
être plus discipliné,
avoir une meilleure clarté mentale,
développer son caractère,
ne plus être l’esclave de la technologie,
cultiver une richesse intérieure,
prendre du recul sur l’esprit du temps.
La question que l’on est en droit de se poser néanmoins : est-il possible d’être empereur de soi-même au XXIe siècle ?
De Marc Aurèle à Stéphane, 2 000 ans de progrès ?
Stéphane est littéralement le produit de l’époque.
Il consomme une pléiade de services gratuits, faisant de lui le produit comme l’adage moderne le dit.
Il est un consommateur. Il est une donnée. Il est un agent économique.
Il vit dans une matrice dépassant le monde virtuel qu’avaient imaginé les réalisateurs du film Matrix.
Stéphane est aussi le produit de l’évolution, il fait partie d’une lignée d’Homo Sapiens qui survivent, se reproduisent et se développent depuis des centaines de milliers d’années.
Or, l’évolution biologique avance à une vitesse ridiculement lente comparée à l’évolution technique/technologique.
Nous avons atteint un “tipping point” comme dirait Malcom Gladwell, une sorte de carrefour avec un “turbo boost” technique suite à la révolution scientifique (Galilée, Descartes) qui a eu un impact monumental sur la croissance du nombre (et de la qualité) des innovations techniques.
Cette science à qui l’on reproche parfois d’être même devenu la servante de l’industrie et de la technique.
Nos cerveaux aussi complexes que lents à évoluer se sont retrouvés donc au beau milieu d’une triple révolution en à peine cinq siècles.
La révolution scientifique, suivie de la révolution industrielle puis la révolution numérique.
Un homme du XXIe siècle est exposé à plus d’informations au cours d’une journée (sites internets, panneaux publicitaires, chaînes de télévision etc.) qu’un homme du XVIe siècle au cours de toute sa vie.
Prenez le temps de digérer ceci deux secondes.
Nous ingurgitons plus de données en une journée que ce que nos ancêtres en consommaient lors d’une vie entière.
Nous vivons donc dans une abondance d’informations. On parle même d’infobésité.
Tout semble illimité dans le monde (im)matériel.
Le monde est devenu un supermarché à ciel ouvert, disponible 24 heures sur 24.
Il y a plusieurs constats à faire pour comprendre la situation dans laquelle Stéphane et nous-même nous retrouvons en cette première moitié de XXIe siècle.
La technologie grignote l’âme humaine : Stéphane face à Goliath
La technologie progresse beaucoup plus vite que notre psyché.
Le combat entre notre cerveau et les ingénieurs des big tech ou GAFA équivaut à match de football entre une équipe de jeunes de 10 ans face au FC Barcelone.
Le combat semble inégal. Une confrontation Stéphane contre Goliath dont la fin ne semble pas pouvoir sourire à Stéphane.
Notre âme se fait grignoter petit à petit.
Par âme, j’entends notre esprit, notre monde intérieur.
Les écrans et les algorithmes dirigent nos existences.
Nous suivons aveuglément Google Maps sans regarder les panneaux dans la rue. Nous ne savons plus utiliser une carte.
Nous rencontrons notre futur conjoint sur une application de rencontre.
Nous travaillons à distance en enchaînant les visios conférences.
Nous devenons nous-même des écrans publicitaires.
Ce qui a commencé par l’industrie de la mode se propage maintenant à tous les usages.
Je suis moi-même un panneau publicitaire ambulant avec mon casque Bose, mon Macbook d’Apple, mon sac de digital nomade dernier cri.
Ce n’est plus seulement le virtuel qui prend le pas sur le réel.
C’est le réel qui devient virtuel comme nous l’explique Jean Baudrillard dans Simulacres et Simulation.
Nous sommes plongés dans une réalité virtuelle qui a pour objectif d’accaparer chaque seconde de notre attention pour nous divertir, nous faire consommer, nous vendre des produits ou des idées.
Le comportement par défaut est de succomber aux sirènes technologiques qui ont tendance à “simplifier” nos existences et les rendre plus “attrayantes” ou encore plus “rapides” et plus “confortables”.
Chaque Stéphane de ce monde vit en connexion constante avec le dieu technologie, qui grésille en arrière-plan tel une télé essayant d’accéder à canal + dans les années quatre-vingt-dix.
Une vie matérialiste
Quand l’âme se fait dévorer, quand l’esprit s’appauvrit. Il ne reste que la matière ou le monde sensible dirait Platon.
Le temps de cerveau disponible pour soi-même est proche du néant.
Dans ces conditions, il est improbable d’être en mesure de dessiner des plans pour transcender son existence terrestre.
Si Stéphane n’a pas d’horizon, s’il n’a pas de perspectives génératrices de sens, que lui reste-t-il ?
Les jeux et les divertissements.
Par jeux, nous entendons : les jeux sociétaux, les jeux de statut, les jeux d’apparence et non seulement les jeux vidéo ou autres divertissements.
Comme Stéphane, nous nous plongeons dans les différents jeux que le monde matériel peut nous offrir :
le jeu de la richesse et du patrimoine
le jeu du pouvoir et du statut
le jeu de l’hédonisme et du carpe diem
le jeu du nihilisme et de la chandelle qu’on brûle des deux côtés
Il faut distinguer les jeux divertissants et les jeux statutaires.
Les premiers tentent de déréguler notre niveau de dopamine en appuyant sur les bons “boutons” de notre biologie.
Prenez les applications comme Instagram.
Elles savent exactement comment nous faire ressentir des petits shots de plaisir provoquant des hormones de dopamine avec les notifications et les likes.
Les jeux statutaires se font passer pour des quêtes supposées donner un sens à nos vies et nous permettre d’atteindre bonheur et sérénité.
Malheureusement, il suffit d’écouter les témoignages des individus ayants atteint “le sommet de la pyramide social” pour se rendre compte que le gain escompté ne fut pas obtenu.
À cela vient s’ajouter un horizon qui s’assombrit. Des perspectives individuelles et collectives peu réjouissantes.
On assiste à une hystérie autour des problématiques écologiques.
Ce qui dessert la cause en elle-même.
Le discours est catastrophiste et culpabilisateur. Il suffit de voir ce qu’il est en train de se passer en 2022 avec la coupe du monde au Quatar avec une véritable propagande pour boycotter la compétition.
Ou encore le discours des hommes politiques en France et en Europe concernant les ressources en gaz.
Ces discours politiques appuient sur une émotion majeure pour marquer les masses : la peur
Nous l’avons vu durant la pandémie du Covid-19.
L’état et les médias principaux ont fait le maximum pour jouer le rôle de celui qui effraye dans un premier temps puis qui vient dans un second temps proposer des solutions pour “rassurer” la masse tenue dans la peur pendant des mois/années.
Pire, que ces exemples, nous sommes en train d’enlever aux hommes et aux femmes, la plus belle et naturelle source de transcendance : avoir un enfant.
Au cours de mes voyages et rencontres ces dernières années, je rencontre une proportion de plus en plus forte de femmes qui ne désirent plus avoir d’enfants pour deux raisons principales : les problématiques environnementales et le sentiment d’incertitude quant à l’avenir du monde (mais surtout de notre espèce).
Ces personnes sont la plupart du temps pessimistes concernant l’avenir de l’humanité mais également pessimiste sur leur propre avenir.
Le nihilisme est total.
Enfin, même les idéologies essayant de prendre le relais des religions sont matérialistes.
Le communisme et le nazisme étaient des réponses à des besoins matériels en premier lieu.
De nos jours, des idéologies comme le néoféminisme ou des courants comme le minimalisme sont avant tout des productions servant le capital (ou système) comme l’explique l’intellectuel Loic Chaigneau dans son ouvrage Le Nouveau Fascime.
Cette vie sans horizon, où la possession, le statut, la matière sont le seul projet individuel et collectif nous démontre une chose : la vie intérieure est supplantée par la vie extérieure.
Ce qui compte n’est pas qui nous sommes mais ce que nous représentons.
Nous sommes des marques ambulantes.
Nous sommes tous des marques
Pour illustrer ce phénomène de marque, je vais m’appuyer sur le marché de l’amour hétérosexuel.
Nos ancêtres pré historiques avaient déjà une marque personnelle.
En effet, dans les tribus, chacun devait montrer aux autres sa valeur afin de justifier sa présence dans sa tribu et donc d’avoir la possibilité de survivre et éventuellement de se reproduire.
Ce phénomène de “marque” ne s’est jamais estompé.
Les hommes et les femmes ont toujours dû projeter au monde une certaine image d’eux-mêmes, toujours dans cette double optique de survie et de reproduction.
Le Moyen Âge est peut-être la période où ce phénomène était le moins présent (hormis dans l’aristocratie).
En effet, durant cette phase de l’Histoire, la religion, les mœurs et la situation économique ont poussé les hommes et femmes de l’époque à s’unir par nécessité. Ce fut le cas également après la révolution agricole.
La marque prend moins d’importance quand “le marché de l’amour” est équilibré.
Or notre époque est bien différente.
La religion n’est plus dominante en Occident. Les mœurs ont évolué. Les femmes sont indépendantes financièrement.
Et surtout, nous avons le double phénomène de la globalisation et du numérique qui exacerbent ce retour en force de la “marque”.
Ceci développe un marché de l’amour qui se tend (notamment pour les jeunes hommes de 18-25 ans et pour les femmes de plus de 35 ans) ce qui rend le besoin d’avoir une bonne “marque” primordiale.
La compétition est rude.
Chacun se compare avec les autres.
Chacun compare autrui avec le reste du monde.
La marque se fait et se défait non pas dans son petit village ou dans une tribu de Cro Magnon mais sur Internet.
La réputation sur Internet prévaut sur celle du monde physique.
Le virtuel profite d’une existence matérielle pour dématérialiser les relations, les réputations, les métiers etc.
Nous sommes donc passés d’un monde où les mythes, les religions, les grandes Histoires donnaient un sens à nos vies, à un monde purement matériel s’appuyant sur l’immatériel.
Ce n’est pas le sujet du livre, mais nous pourrions creuser la réflexion en nous appuyant sur la pensée de Jean Baudrillard.
Dans Simulations et Simulacres, le penseur pose la thèse d’une matrice qui ne serait pas dans un monde virtuel, mais un monde ou le réel devient virtuel.
Pour faire simple, prenez l’exemple de Starbucks.
Starbucks vend du café mais aujourd’hui vous n’allez pas au Starbuck pour consommer un café mais pour consommer la marque Starbuck.
Ce qui est dans le gobelet compte moins que l’image que l’on se fait (et se font les autres) du contenant du gobelet.
Le contenant domine le contenu. Le virtuel domine le réel.
Même nos rapports sexuels sont virtuels dans le réel.
À partir du moment où la pornographie est accessible à tous, et cela dès un âge atrocement jeune (moins de 12 ans de nos jours).
Il est évident que celle-ci influence nos rapports intimes.
Nous avons donc des rapports sexuels non pas basés non pas sur des désirs partant de nous-même mais sur une projection du virtuel dans le réel.
Nous sommes tous des marques projetant au monde comment nous voulons être perçus à partir de nos achats, nos modes de vies, nos idées etc.
Ce qui nous permet que l’on en soit conscient ou non d’optimiser un désir biologique profond de reconnaissance à des fins de survie et de reproduction.
Cette obsession, codée en nous, d’être une marque, nous éloigne de notre citadelle intérieure en nous poussant à agir selon les autres.
J’ai évoqué ici le marché de l’amour pour illustrer mon propos mais celui-ci n’est pas le seul marché.
On pourrait même dire qu’il existe un supermarché mondial à ciel ouvert avec une infinité de sous-marchés.
La plupart de ceux-ci étant intimement liés aux plaisirs instantanés.
Le supermarché des plaisirs instantanés
Cette année, j’ai assisté de loin à l’ascension de Hamza, un jeune Youtubeur britannique qui est passé de 50 000 à 1 000 000 d’abonnés en à peine un an.
Sur sa chaîne, il aide les jeunes hommes à s’extraire des plaisirs instantanés qui finissent par ruiner leur motivation, leur confiance et in fine leur vie.
Les drogues, les réseaux sociaux, les jeux vidéo et la pornographie sont les exemples que citent Hamza dans ses vidéos.
Si vous sentez une pointe d’irritation en voyant les jeux vidéo et les réseaux sociaux cités au même rang que les drogues et la pornographie calmez-vous et demandez-vous :
“Ai-je un rapport vraiment sain avec ces activités ? Ont-elles un apport net positif ou négatif sur ma vie ? M’aident-elles à être plus heureux, épanoui et serein ?”
La data ne ment pas.
La chaîne d’Hamza est en temps réel en train de démontrer un problème profond.
Celui de l’addiction de notre génération à la “dopamine bon marché”.
Nous vivons tel dans le Meilleur des Mondes d’Huxley dans une société remplie de “bonbons” (le fameux SOMA dans le roman) qui nous permet de consommer des plaisirs instantanés H24.
Cette fameuse dopamine est une hormone forte utile car elle est supposée récompenser les bons comportements.
C’est une hormone provoquant un plaisir court et instantané.
Elle est censée nous dire “bien jouer !”.
Or, elle est aujourd’hui totalement dérégulée et exploitée par toutes les entreprises qui ont un département marketing.
Un autre exemple révélateur, est le succès planétaire du livre de James Clear, Atomic Habits qui se base sur ce système de déclencheurs et de récompenses entourant une habitude.
Le meilleur moyen de remplacer une mauvaise habitude par une bonne est de modifier le déclencheur ou de tester une autre habitude qui produirait une récompense plus satisfaisante.
Un cas typique sont les fameux “rabbit hole” sur Youtube qui sont provoqués par un déclencheur comme l’ennui ou la résistance de faire une activité importante mais exigeante (écrire par exemple).
En deux clics, on se retrouve sur Youtube à se perdre dans les recommandations de l’algorithme pour prendre sa (sur)dose de plaisir.
Oubliant nos problèmes et nos manquements pendant quelques heures.
Mais in fine la gueule de bois post rabbit hole ne loupe jamais.
“J’ai perdu X heures (encore) sur Youtube aujourd’hui”.
On a beau le savoir, ce comportement se répète chaque jour, que ce soit sur Youtube, Instagram, un site pornographique ou un jeu vidéo.
Les conséquences sont multiples :
un renfermement sur soi
une identité qui se lie à ces addictions
une perte de confiance et d’estime de soi
une perte de clarté mentale et de sérénité.
Ce supermarché illimité et gratuit est ce qui nous éloigne le plus de nos aspirations et ce qui exploite le plus nos désirs “animaux et biologiques.”.
Au-delà des pulsions et plaisirs instantanés que provoque le supermarché illimité.
Il y a un dernier élément que j’aimerai développer, celui du coût mental des “onglets infinis”.
Les onglets ouverts et infinis
Dans le principe #3 j’avais évoqué l’idée du syndrome Peter Pan.
Notre tendance à éviter de faire des choix pour ne pas “grandir”.
Ne pas avoir à dire “adieu” à certains chemins de vies et potentiels non réalisés.
Ce syndrome est lié à la confusion entre deux idées semblables à première vue et pourtant fort différentes.
Générer de l’optionalité qui est l’art de faire des actions générant toujours plus la possibilité d’avoir de meilleurs choix à disposition (que l’on peut exercer ou non)
Garder nos options ouvertes en ouvrant beaucoup “d’onglets” dans nos vies. C’est une posture passive contrairement à la première qui se matérialise dans l’action.
Par onglets, je ne parle pas de ceux sur votre navigateur web (même si personnellement ça me stresse d’avoir plus de 4 onglets ouverts. Fermez en un max !) mais plutôt des “onglets” de notre vie personnelle, relationnelle et professionnelle.
C’est le phénomène de “la boucle ouverte”, nous ouvrons des portes que nous ne refermons jamais vraiment.
On se retrouve avec une multitude de sujets, de relations, de questions, de problèmes, de désirs.
Le digital a la capacité à faciliter l’accumulation et difficile la réduction.
Il est bien plus simple de s’inscrire à 50 chaînes Youtube que de s’en désabonner d’autant.
La conséquence de ces “boucles ouvertes” et de nos “onglets infinis” est la saturation de notre cerveau et de notre esprit.
Cette saturation provoque un brouillard constant perturbant notre psyché (monde interne) et notre quotidien (monde externe).
On ne sait plus distinguer ce qui compte et ce qui ne compte pas.
Ceci entraînant une sorte de relativisme où tout se vaut puisque nous n’avons pas le temps de hiérarchiser les données, nos relations, nos projets, nos désirs etc.
C’est le constat que fait Mark Manson dans l’Art subtil de s’en foutre.
On devrait “se foutre” de beaucoup plus de choses et se concentrer sur l’essentiel : nos valeurs, nos décisions, nos relations, notre santé, nos finances, nos projets.
Le philosophe Thoreau aurait été d’accord avec Manson, lui qui 150 ans plus tôt nous invitait à “simplifier, simplifier, simplifier” nos existences pour y retrouver son essence même.
Depuis quelques années, nous avons une montée en puissance des experts, créateurs et formateurs en productivité et en “management de vie” digitale ou physique.
Ali Abdaal réuni plusieurs millions de personnes sur sa chaîne Youtube de productivité et génère maintenant plusieurs millions par an avec le business qu’il a créé autour.
Tiago Forte a développé un système de “second cerveau” permettant à ceux qui l’utilisent, de gérer leur vie digitale (et physique) avec un système centralisant : tâches, projets, ressources, domaines de vies importants.
Ces deux créateurs proposent des pistes de solutions et de réflexions aux difficultés que nous avons à tenir le rythme toujours plus soutenu de la modernité.
“Conclusion”
Nous avons vu un ensemble de raisons (non exhaustives) rendant complexe, mais d’autant plus nécessaire, la construction d’une citadelle intérieure au XXIe siècle.
La vie par défaut de Stéphane va l’amener à avoir l’esprit occupé constamment par “onglets” non traités.
La conséquence va être une perte de clarté mentale, l’esprit étant obstrué par un brouillard constant.
Il va succomber aux plaisirs instantanés que lui offre le supermarché mondial de la dopamine bon marché.
Sa discipline est inexistante puisque la récompense et le plaisir lui sont accessibles sans efforts.
Il va finir par confondre plaisir et bonheur. Ce qui va le pousser à encore plus consommer de bonbons à dopamine.
Stéphane est aussi un produit de son époque, il est dans une logique matérialiste et statutaire.
Il achète, il accepte d’être un produit, il essaye de projeter une image attrayante de son existence aux autres.
Tous ces comportements l’empêchent de suspendre son jugement et examiner ses pensées (principe #1 du Philopreneur).
Il ne peut définir et poursuivre sa mission n’étant pas capable de trouver le temps de rentrer en lui-même (principe #3 du Philopreneur).
Heureusement, pour ceux qui veulent suivre le chemin de la vie intentionnelle.
Il est encore possible de résister et de développer des stratégies et modèles de pensées pour bâtir une citadelle intérieure nous offrant sérénité, clarté mentale et capacité de concentration.
C’est ce que nous verrons la semaine prochaine !
Plan d’action du principe (partie 1)
Réflexions
À quels jeux statutaires suis-je en train de jouer ? Me rapprochent-ils ou m’éloignent-ils de ma mission personnelle ?
Comment pourrais-je concilier mon besoin “animal social” d’appartenance avec mes aspirations dépassant ma condition mentale et physique ?
Quel est mon rapport aux plaisirs instantanés ?
À quoi ressemblera ma vie si je remplace ces plaisirs instantanés par des activités plus saines ?
À l’inverse, à quoi ressemblera ma vie si je ne change rien ? Dans 1 an ? 10 ans ? 50 ans ?
Quels sont les onglets de ma vie que je devrais faire l’effort de fermer / clôturer ?
Actions
Lire Pensées pour moi-même de Marc Aurèle
Prendre une heure pour répondre aux réflexions ci-dessus.
Je m’arrête ici pour cette semaine.
Partagez-moi votre avis sur l’édition par mail (en répondant à celui-ci).
Pour me suivre (et échanger) entre les éditions, ajoutez-moi sur Instagram.
Passez une bonne semaine et à lundi prochain !
JCK from Budapest 🇭🇺
PS. : Si l’édition vous a plu, vous pouvez cliquer sur le petit ❤️ juste en dessous du titre de cet e-mail. C’est une autre façon d’encourager mon travail !
C'est vraiment un texte passionnant, merci!
J'essaie depuis plusieurs années de pratiquer, avec plus ou moins de succès et de constance, le Miracle Morning, mais j'ai du mal avec l'écriture. Je le fais donc le matin dans le cadre du MM, et là j'ai abandonné depuis plusieurs semaines.
L'idée de le faire le soir, comme Marc-Aurèle, à chaud, et surtout de réfléchir consciemment sur mes actes ou mes omissions, plutôt que de faire juste un compte rendu de ma journée, me plait bien: peut-être que cela va me redonner de la motivation.
Question de curiosité, à laquelle vous savez peut-être répondre si vous vous êtes autant consacré à Marc-Aurèle : sur quel support ses pensées ont-elles été écrites, pour avoir été si bien conservées ? Du papyrus ? Du parchemin ? Déjà du papier ?
Michel